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"Refuges précaires" ou est-il possible de réver n'importe-où ?

Le nouveau projet de recherche et créations de LALCA

2023-2026

Sur la métropole de Lyon

 

Nous partons de l’hypothèse que l’habiter précaire est « éclaté » sur le territoire. Par conséquent la morphologie constellaire de cet habiter comprend des déplacements, des temporalités, des trajectoires reliant les différents « besoins » de l’habiter, qui ont alors lieu ailleurs que dans l’abri-toit (se laver, s’habiller, dormir, s'aimer, manger, se reposer, etc.). Certains de ces besoins sont considérés et reconnus comme vitaux (manger, se laver) et sont liés à des espaces et des temporalités précises et identifiables. D’autres, comme le besoin de se reposer, de bénéficier d’un espace-temps d’intimité, parfois isolé, le sont moins, alors qu’ils sont tout aussi indispensables à la (re)construction de soi.

Selon Marc Breviglieri, « L’homme, en habitant, se donne un refuge ou un abri, (...) mais aussi un temps serein où peut se déployer un « foisonnement » d’usages variés. L’usage dans l’habiter part du sommeil, du repos permis par le geste routinier et couvre un très large panorama d’attitudes, de comportements et d’actions éveillées ».

Ainsi, se reposer, c’est-à-dire prendre le temps et trouver l’espace pour se laisser le temps, pour se mettre en sécurité, pour avoir la possibilité d’espérer, de rêver, est une action plus difficile à inscrire dans un espace et sur une temporalité précise. Pourtant ce besoin dépend bien de lieux, existants, inventés ou détournés, d’une territorialisation, au sens deleuzien d’une appropriation de l’espace.

L'intimité est aussi une question spatiale car, comme le dit François Laplantine, elle remet en question la distinction entre intérieur et extérieur, entre confiance portée en un lieu, en une personne, etc. et nécessité de cacher, d'intérioriser... Où cette frontière se trouve est, en revanche, une question loin d’être simple à résoudre, sinon d’avoir recours à la vision d’une « extension de soi », selon les termes de Georg Simmel. D’autant plus nettement lorsque l’on se trouve dans des circonstances qui cassent net « la propriété de soi », ce droit de penser et d’agir en confiance, en retrait et en toute sécurité. Intimité, contrôle et ordre social sont fortement arrimés.

Si la ville propose des espaces pour se laver (les bains-douches bien qu’en sous nombre existent), pour manger (restaurant social, maraudes et distributions de nourriture se côtoient dans l'espace  urbain), parfois pour dormir (les places en accueil de nuit sont totalement insuffisantes), il n’existe pas de lieux dédiés où il est possible de se mettre en sécurité, de se reposer, en tout cas non définit comme tel.

Afin de mener cette recherche, nous allons partir à la rencontre de personnes en temps précaire, dépourvus de logement conventionnel et pour qui l'espace public est un cœur de l'habiter, puisqu’il n’est plus, tel que le définit Isaac Joseph, uniquement un espace de circulation où le citadin vient faire « l’expérience du simple rassemblement sans motif partagé », il devient le lieu où certaines personnes peuvent être amenées à demeurer et à développer les habitudes essentielles à l’habiter.

Notre problématique part donc de l’habiter et se développe sur une triple échelle.

D'abord, celle de l'individu. Pour dessiner, entendre et comprendre la morphologie constellaire de l'habiter : « dormir est une façon spécifique d’habiter, une action quotidienne qui implique un acte de confiance dans le lieu. Quand on dort, on perd le contrôle de l’espace, on s’abandonne. Si le lieu devient scénario du  sommeil, il est aussi censé protéger le dormeur » . Qu’en est-il de la possibilité de rêver, de se projeter, d’investir le présent et l’avenir lorsque l’on est en situation transitoire ? Comment compose-t-on un « chez-soi », des habitudes, des ancrages et comment se situe-t-on dans le temps et dans l’espace quand on est dénué de toit fixe ? De quoi doit-on se mettre à l’abri ? Quels sont les espaces dans la ville où on peut se « reposer » et laisser libre-cours à des divagations, des réflexions ?

Nous allons ici chercher les expériences intimes du sommeil, du rêve et de la projection des personnes en temps précaires. Nous tenterons également d’évaluer les éléments qui participent à une mise en sécurité.

D'autre part, l'échelle métropolitaine. Pour comprendre les typologies de l'habiter qui sont éclatées, fragmentées en plusieurs lieux de la ville. Où et comment est-il possible de trouver, de se fabriquer un abri pour se retrouver, pour permettre un repos physique, émotionnel, intellectuel ? Sur quoi repose un abri ? Quels sont les lieux de refuges temporaires ou recréés ?
Peut-on donc trouver dans une métropole comme Lyon des lieux facilitant le repos de soi, la « mise en veille ». Marc Breviglieri nous dit « qu’on n’habite pas dès qu’on pénètre à l’intérieur d’une maison, (que) c’est l’usage familier des choses habituelles qui, progressivement, meuble et fonde un noyau d’habitation qui, pour commencer est un noyau de stabilité et de confiance pour la personne ».

Qu'en est-il lorsque l’on vit en dehors d’un logement conventionnel et que peu de lieux publics permettent la mise en place des habitudes ? Nous avons d’ors et déjà identifié sur la métropole de Lyon, quelques lieux susceptibles de proposer un peu de repos :
# Les lieux publics (ou ouvert aux publics) détournés de leurs fonctions premières où, anonymes, nous pouvons « squatter » au moins une partie de la journée sans se faire expulser et où la présence « inactive » est tolérée, comme les médiathèques, les centres commerciaux, les parcs... Et plus particulièrement la bibliothèque municipale et le centre commercial de la PartDieu, et le Parc de Parilly, à l'est de la ville.
# Les lieux conçus pour offrir un service aux personnes précaires et qui déborde de leur fonction principale pour différentes raisons, comme le restaurant social ou encore les différents accueils de jour (ou de nuit) de la ville de Lyon, (par exemple, la péniche Balajo à Lyon ou les amis de la rue à Villeurbanne).
# Il existe également des lieux impensés de la ville, bricolés par les personnes en temps précaire auxquels nous voulons nous intéresser et que nous découvrirons au gré de nos rencontres (une place publique, un parking, etc.)

Enfin, nous nous intéresserons à la dimension nocturne de la ville. Comment se déroule la ville la nuit ? A-t-elle des spécificités ? La nuit est-elle propice à des habitudes différentes ? Nous allons tenter d'identifier les conditions de sommeil, du repos, les éventuels rituels à mettre en place. Et nous nous intéresserons aux différences de fonctionnement et d'organisation de la cité la nuit.

 

 

Actu novembre 2022