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Dans les bains-douches

 

Quand nous avons entamé notre projet de recherche et de créations aux bains-douches, nous avons cherché la carte postale que possède tous les bâtiments publics et dont les bains-douches Delessert ne disposait pas. Nous l'avons tellement cherchée que nous l'avons fabriquée, avec un des agents des bains-douches, ancien collectionneur de cartes postales anciennes.

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Le bâtiment a été construit en 1967 pour les habitants des Cités HBM de La Mouche, qui ne possédaient pas encore de salle de bain. Très fonctionnaliste, il compte deux niveaux, dont le premier est semi-enterré. Un escalier central permet d'accéder à l’étage supérieur, dans lequel se trouvent les bains-douches. Cet escalier marque une symétrie du bâtiment, et une marquise protège le perron. Dessous et de chaque côté, un escalier donne accès au niveau inférieur, une salle non utilisée à ce jour mais qui devrait devenir une laverie sociale et solidaire début 2022.

22 cabines individuelles permettent d'inscrire les bains-douches Delessert comme une centralité indispensable à la ville Lyon pour se laver, d’une part parce qu’ils sont accessibles à tous, gratuitement, de façon anonyme et sans condition, et d’autre part parce qu’ils ont une grande amplitude horaire (7h30-17h30 du lundi au vendredi). Leur fermeture le soir et le week-end impose toutefois aux usagers de penser leur hygiène dans une temporalité quotidienne pour se laver l’après-midi avant d’aller à un rendez-vous par exemple, mais aussi hebdomadaire pour s'articuler autour de jour-clés comme le lundi, mercredi et vendredi permettant de se laver (presque) un jour sur deux.

 

Bien que non pensés à cet effet, les murets et les escaliers extérieurs sont aussi investis par les agents et les usagers pour s’asseoir, s’allonger, manger, boire, faire une pause, fumer une cigarette et bien entendu, parler. Ainsi habité, le parvis des bains-douches est un espace de sociabilité qui crée une sorte d’hospitalité involontaire. Plus que son architecture, ce sont ces pratiques qui donnent corps au bâtiment.

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Plus d'info sur la création des bains-douches, un patrimoine pour se laver

 

« J'm'appelle Mat, j'suis de Lyon et c'est important d'avoir l'hygiène quand on est dehors parce que voilà,
se tenir propre déjà pour soi et pour les autres. Donner une bonne image de la rue, c'est pas parce qu'on est
dans la rue qu'on est des crades. On mange, on boit, on vit, on respire, on fume, … »

 

A Lyon, c’est essentiellement pour se débarrasser de la baignade sauvage dans les fleuves et ainsi limiter « l’impudeur » des lyonnais que la ville délimite, au début du XIXe siècle, des zones de baignades gérées par des entrepreneurs privés comme la famille Marmet, sur ce qui s’appelle des « bêches » - historiquement des embarcations bâchées qui servaient à faire passer les gens d’une rive à l’autre de la Saône. Une fois attachées entre elles, elles forment un espace central dans lequel les lyonnais venaient se tremper ou apprendre à nager. Ces lieux étant payants, reprennent alors dans les fleuves, les baignades sauvages pour se laver. Parallèlement, des « bains de luxe » voient le jour et notamment les bains François Maderni, amarrés quai de Retz (aujourd’hui appelé quai jean Moulin et situé sur la rive droite du Rhône) entre 1850 et 1887. Mais la classe ouvrière n’y a toujours pas accès.

Différentes tentatives d’ouvrir des bains municipaux gratuits ou à prix réduit vont avoir lieu au milieu du XIXe siècle. L’hygiénisme domine alors les politiques urbaines et le corps médical, notamment à travers les travaux de Pasteur qui reconnaît l’importance de l’eau et de l’hygiène. En France, le gouvernement décide d’encourager, par des subventions, les municipalités et l’initiative privée à créer des bains et lavoirs à bas prix (loi de 1851). En 1879, à Lyon, est ouvert le premier bain municipal gratuit au parc de la Tête d’or. Il devait comprendre trois bassins, un pour les hommes, un autre pour les femmes et un pour les chevaux, mais faute de moyens ne sera construit que celui des hommes. Les conditions y sont déplorables et il fermera ses portes en 1895.

Le modèle de « bains rapides par aspersion » (douches regroupées et compartimentées avec déshabilloir), appelés « bains-douches », offrant une économie importante de place et de quantité d’eau utilisée, se diffuse. Les philanthropes s’en saisissent puis l’action municipale finit par s’imposer (en concession ou en régie directe) dès le début du XXe siècle. Ainsi, à Lyon, en 1899, huit « chalets de bains-douches rapides populaires » seront installés, en concession, essentiellement dans les quartiers où la population ouvrière est la plus importante : Perrache, Guillotière et la Croix-Rousse. Les chalets sont très fréquentés et remportent un franc succès auprès de la classe ouvrière. Mais les riverains se plaignent, dans des courriers et des pétitions envoyés à la mairie, des odeurs nauséabondes qui émanent des chalets et du tapage, diurne et nocturne, qui accompagnent les douches. Les chalets vont peu à peu disparaître du paysage lyonnais.

D’autres lois (1906 et 1907) permettent la subvention d’initiatives locales proposant des bains « à bon marché ». De nombreux « bains-douches municipaux » ouvrent dans l’entre-deux-guerres. Des bains-douches sont aussi installés à l’école, à l’usine, à la mine, à la caserne, dans les habitations à bon marché. Dans les années 1930, sont construits cinq établissements de bains-douches à Lyon, ouvre d’abord celui du cours Garibaldi en 1933, puis de la rue Paul Bert et de la rue Flesselles en 1934, du cours Bayard en 1935 et de Saint-Just en 1938.

 

Et la construction d'une mémoire commune à Lyon

 

En août 1932, le maire de Lyon, Edouard Herriot, demande également aux architectes Robert et Chollat de soumettre un projet de construction de lavoirs-bains-douches très simples dans la cité jardin de Gerland. Ce projet prévoit cinquante places au lavoir, dix douches femmes, dix douches hommes et dix cabines de bains. Le financement de sa construction est tiré du crédit affecté aux HBM, mais ce projet ne sera jamais réalisé. Il faudra attendre 1967 pour qu’un nouveau projet voit le jour au fond de l’impasse Delessert.

Prévu à l'origine pour les habitants de la cité jardin de Gerland, l’établissement est toujours utilisé par ceux-ci mais d´autres personnes extérieures au quartier y viennent également. A la fin des années 80, les bains-douches rue Paul Bert et de Saint-Just ferment. En 1996, on dénombre encore 40 000 douches prises par an dans les cinq établissements encore ouverts (Garibaldi, Bayard, Bourgogne, Flesselles et Delessert). En 2000, elles seront au nombre de 22 270. Ensuite progressivement ferment les différents bains-douches : Bourgogne, Garibaldi, puis Bayard. En 2016, ce sont les bains-douches Flesselles qui ferment, malgré une très forte mobilisation de la population, de la mairie d’arrondissement et de différentes associations.

En 2016, lors de la fermeture des bains-douches de Flesselles, la municipalité modernise les bains-douches de Gerland, les baignoires sont supprimées au profit de douches adaptées pour les personnes à mobilité réduite, des lavabos et des bancs sont installés au milieu des deux ailes. L’accès est complètement gratuit (il était gratuit pour les personnes ayant un ticket du CCAS mais à très bas prix pour les autres jusqu’en 2016). Et en mars 2023, ouvre au sous-sol une laverie sociale et solidaire !