• Bandeau19.jpg

aigle

Si l'hospitalité résonne sur les murs de la ville, nous la cherchons dans son écho. Et là, cette année, pour écho, nous avons entendu la voiture comme abri, comme engin de mobilité nécessaire, nous la soupçonnons lieu d'intimité sexuelle, lieu de squat... Pour échos, aussi, nous avons entendu l'eau, celle qui coule, mais surtout celle qui ne coule plus, ces fontaines encore espaces de bains au bains-douches disparus. Un seul bâtiment subsite dans la métropole de Lyon, dans le 7e. Nous allons suivre cet échos aussi, après.

Alors nous tentons de lui faire son récit, comme celui de cette connaissance qui émerge là avec Redouane, Hakima, Leila et Abdalla, Safia, Rosaenie, Mariami, Faridje et Léonit. Et nous plantons dabord notre territoire.

 

Contexte, la forme des villes

Les villes telles que nous les connaissons trouvent leur forme dans le 19e siècle. Elles changent de visage en même temps que l’ennemi change de camp. Les fortifications, protections contre l’ennemi extérieur, tombent au profit des élargissements de rue permettant de contrer les révoltes à l’intérieur même des villes. Ainsi, en 1830, les militaires réalisent dès leur première semaine en Algérie des percements de la Casbah de rues larges d’un bataillon à pied. Les urbanistes s’inspirant des militaires (E. Weizman), Haussman reproduira ce schéma 50 ans plus tard à Paris matant les révoltes populaires, l’ennemi étant devenu l’ouvrier prolétaire.

Considérant que la poli(s)tique se définit dans une dialectique de l’ami / ennemi (C. Schmitt), il n’aura pas suffit au siècle et demi et au changement de concepts urbains pour modifier la tonalité de la fabrique de nos villes. Nous avons quitté l’hygiénisme et sommes entrés dans l’ère de la métropolisation. C’est donc toujours "contre" que la ville se construit. Contre les immigrés, étrangers, ouvriers encore, nomades, sans-abris, sans argent, contre ceux dont la voix ne comptent pas ou dont la voix est couverte par le brouhaha incessant des investissements, des capitaux et de la volonté de renommée internationale.

À ce titre, la métropole lyonnaise n’échappe pas à la mise au pas mondialisée, à cette volonté de se voir élevée au rang des villes qui comptent. Bien que Lyon soit déjà au coeur d’un réseau de mobilités des plus pauvres très étendu (N. Molle, ALPIL) allant de la Roumanie à l’Espagne, de l’Afrique et du Moyen-Orient à l’Angleterre ou au pays du Nord, elle se voudrait devenir la reine de l’investissement, le Lyon way of life du cadre supérieur. La contrepartie de cette métropolisation, c’est l’arrivée des plus pauvres désireux aussi d’en profiter.

Les villes globalisées ont conservé du mythe de la fondation de Rome la dialectique de la dichotomie et de la limite ; le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur, la ville et la non-ville (C. Raffestin) et, avec elle, l’opposition du sédentaire au nomade. Bien que la mobilité des cadres « plug and play » soit souhaitée et vantée par la métropole, la mobilité économique ou de survie apparaît à contrario comme un élément pouvant freiner son développement, voir devenir l’élément destructeur d’une supposée cohérence territoriale.

 

La place de l’autre

Ainsi ne sont pas accueillis de la même façon les étrangers. Qu’ils soient riches et les dispositifs publics leur sont bénéfiques. Qu’ils soient pauvres et c’est à la lisière de la ville qu’on les maintient. L’errant, dont les traditions judo-chrétiennes et musulmanes lui conférait une signification positive, devient l’étranger hostile, l’ennemi, en opposition à l’étranger favorable, l’hôte (C. Raffestin).

Ainsi embarrassé par la transformation du « chez nous » qu’impose cette mobilité amenant ici des gens d’ailleurs et sous couvert d’hospitalité, l’État propose d’accueillir non pas des hommes mais des réfugiés, des migrants, des mineurs, etc. autant de catégories ouvrant certes des droits s’y référent, mais générant aussi leur éloignement au politique, c’est à dire au concept du citoyen (Magali Bessonne). Ainsi l’hospitalité dans la sphère public prend les formes du contrôle.

A l’hospitalité régalienne s’adosse l’hospitalité dans la sphère du privé. De nombreux chercheurs (A. Gotman, M. Agier) ont apporté leur contribution sur les définitions, les limites, les champs dans lesquels cette hospitalité s’inscrit, dans le rapport que l’un entretient avec l’autre, et par là avec lui-même, dans ce que l’on attend ou pas de cette rencontre, dans la territorialisation qu’elle impose, dans les déplacements aussi dans ou en dehors de sa zone de confort, d’intimité, etc. Au-delà de sa définition et de son utilisation dans la sphère du public et du privé et de ses aspects conditionnels ou non, nous souhaitons entrevoir l’hospitalité ou les hospitalités, dans leur multiplicité, comme l’espace d’un possible.

 

L’hospitalité ou la forme de l’utopie

Possible donc en partant d’abord du rapprochement qu’opère René Schérer entre l’habitabilité de la terre et l’utopie, non pas dans ce qu’elle a d’impalpable, de rêvée ou dans sa tentative de définir un monde idéal, mais dans la dimension qu’elle propose d’un devenir : « La réalité, ce n’est pas seulement l’ensemble des possibles actualisés, mais les virtualités dites impossibles, laissées pour compte par l’histoire se faisant dans son imperturbable et aveugle avancée dominatrice ».

Possible encore, en partant de l’idée que nous aurions bien à apprendre de l’Autre, non pas « pour rendre possible l’admission de l’étranger dans la société la meilleure, mais (pour) penser une société meilleure autour de l’étranger, de l’admission de l’étranger » (R. Schérer) ou encore parce que nous pourrions considérer le voyageur, le migrant comme l’émissaire d’une autre cité (A. Gotman).

« Jamais nous ne considérons ces femmes, ces hommes, ces enfants comme des citoyens en plus, comme de précieux co-habitants.(...) Jamais nous n’envisageons cultiver les constructions infimes peut-être, mais vivantes assurément, qu’ici mêmes, sur les trottoirs de Paris ou dans la Jungle de Calais, une multitude de nous-autres ont risquées. Jamais nous ne voyons là, avec joie, frémir des mondes à venir. » (S. Thiéry). C’est ainsi considérer l’Hospitalité comme un pont qui « constitue autour de soi une richesse en homme à partir de laquelle d’autres relations vont être possibles » (M. Agier).

 

L’utopie et l’espace urbain

Possible dans ce que cette réflexion sur les hospitalités pourraient proposer comme regard sur la ville. Et par là sur les espaces visibles de celle-ci, les espaces urbains. L’espace public est un instrument du politique et (par là) porte en lui les enjeux de transformation sociale, sociétale (donc de préservation de l’ordre établi). Il n’est pas qu’un support neutre ou un réceptacle des activités sociales (J.-P. Garnier, H. Lefebvre).

Alors, dans cette hypothèse que les hospitalités sont les espaces des possibles urbains, nous arpentons, rencontrons et considérons ces hommes et femmes qui habitent, comme ils sont au monde (Heidegger). Nous faisant nôtre la notion d’habitants publics définit par Chantal Deckmyn, et posons l’espace public comme espace intrinsèquement lié à l’habiter. Le projet que nous portons est une tentative de définir cet habiter.

 

La place de la voiture en centre urbain

Si le 20e siècle a fait entrer la voiture au sein de nos vies, le 21e voudrait la voir disparaître, dans une équation parfois bien difficile. Encore très inscrite dans notre économie nationale, on condamne dans le même temps ses utilisateurs et principalement les utilisateurs de voitures « sales » (vieilles voitures, consommant beaucoup, roulant au diesel), tout en incitant les gens à plus de mobilité (G. Ducret). C'est dans la double injonction « demain, la ville sera verte et donc sans voiture ! » et « Le travail de demain nécessite adaptabilité et mobilité » que la ville se construit.

Place Chardonnet, on y vit dans sa voiture. En cours d'écriture

 

La question de l'eau

« Prendre une douche permet de conserver hygiène et santé mais aussi de se retrouver avec soi-même. Se dévêtir, s’examiner, se nettoyer, se changer à l’abri des regards sont des gestes simples indispensables à la survie physique et mentale des individus. Être propre est aussi l’une des premières conditions pour vivre en société. Les sans abri et ceux dont le logement est dépourvu d’installation sanitaire sont privés de ces possibilités » écrit Chantal Deckmyn

Place Chardonnet, on s'y lave. En cours d'écriture